Art d'Eiji

 

 

 

critique

 

 

 

 

Je propose le poème de Eiji Suzue aux lecteurs de poésie contemporaine.

 

La faculté d’abstraction de Eiji Suzue prend sa source dans le sentiment religieux qui s’apparente beaucoup à la prière.

L’incarnation en niveau d’abstraction de la langue vient du sentiment de la prière.

J’ai vu l’œuvre plastique de Eiji Suzue avant son œuvre poétique et ai eu la pensée qu’il sculpte le sanctuaire, à la profondeur de l’œuvre plastique, dans la grâce de la nature.

Le rêve lointain chez lui est à l’intérieur du trajet qui fait correspondre l’œuvre plastique avec l’œuvre poétique. C’est la compréhension que j’ai à partir de la lecture du seul manuscrit de sa poésie. Une poésie de la distance lointaine qui convainc est une chose précieuse aujourd’hui. Il a su garder vivante la sensibilité aux confins de l’expression. On sent la sympathie envers la présence d’un monde tranquille, traversé par la fierté de la chose en soi. Une sympathie qui se nourrit du regard plein de gratitude pour les choses est élevée vers la langue, et la poésie.

« Donner de la distance à la langue » c’est ce que vise ma propre poésie, et il me semble que pour Eiji Suzue la méthode importe peu tant qu’il parvienne à saisir l’être dans sa condensation.

Il cherche en tâtonnant la langue qui présente l’être tel qu’il est, autant que possible dans son innocence, en évitant de tomber dans le biais qui accule la langue d’un seul côté à la fois.

C’est une entreprise solitaire, mais la clarté de l’attribut d’une relation qui conserve les rapports donne de l’espoir.

Qui touche la manche?*

L’être tel qu’il est ne cesse pas d’avoisiner la prière qui émane de Eiji Suzue.

Il conduit deux méthodes: celle de l’ascétisme et celle du hogé,** consistant à révéler l’être vers un doux détachement. Le regard qui traverse l’une et l’autre dans leur franchissement est celui qui est en face de la mer, debout, pas uniquement tendu vers la plage fraîche.

En faisant fonctionner la souplesse de l’esprit, qu’il lance aussi loin de lui que possible, il ne tente que de tendre ce qui est confié, encore, à lui-même. Je propose le poème de Eiji Suzue aux lecteurs de poésie contemporaine.

 

Kunitomo Emori (1977, édition shoshi-yamada, Tokyo)

 

Notes de Eiji Suzue:

* Dans mon livre La Fleur de la terre, il y a un poème: « Il y a un bout de la manche qui est en train d’ouvrir la porte.

Au vide de la cavité orale, qui annonce, en se répandant de l’interstice des gencives gelant, le timbre et le timbre du son lent qui frappent à la porte, résonnent faiblement, en se suivant.

La profondeur du zénith, jusqu’au coloris, du rouge de la diaprure du feu. »

Et  il y a un proverbe au Japon: « C’est quelque rapport de la rencontre que les manches se touchent. »

** hogé : le mot du Zen, « lancer tout attachement  hors de soi ».

la présence de monde : comme le Weltsein (allemand).

 

 

 

 

Au  cours de notre siècle, l'objet  est passé graduellement de la production industrielle au statut de valeur ajoutée de caractère sémantique et culturel, en devenant artefact, c'est-à-dire chargé d'une valeur esthétique. Ce bouleversement, dans la qualification d'objets naguère dépourvus de qualification, prend sa source dans l'expérience de Marcel Duchamp et trouve ses prolongements dans les successives tentatives d'appropriation de l'objet menées par une frange non négligeable de jeunes artistes, qui ont bénéficié de l'apport de leurs prédécesseurs : Nouveaux Réalistes et tenants de l'Arte Povera. Cependant, les rebuts de notre civilisation urbaine et industielle ne sont pas les seuls à mobiliser la verve créatrice des artistes entendant faire de l'objet plus qu'un concept : un langage.

Ainsi, la nature fournit souvent à l'artiste le tremplin de base à ses expériences et, a fortiori, lorsq'il s'agit d'un Japonais, dont on sait la relation spirituelle et viscérale qu'il entretient avec elle. C'est le cas de Eiji Suzue qui, à partir de fragments de bois, mais également de boîtes transparentes en résine acrylique, de gaze, de plumes, de plomb et de petits cylindres, conçoit des assemblages ou plutôt des installations, où les éléments judicieusement répartis établissent un dialogue généré par une idée subliminaire et philosophique, fondée sur l'aléatoire et le transitoire. En effet, beaucoup d'objets, même le bois, selon les espèces, sont menacés de disparition, alors certains plasticiens ont pris le parti d'en rappeler la fragilité, par une mise en espace combinatoire où leurs rapports simultanés sécrètent une réflextion sur leur fonction et leur inclination au périssable.

Avec une stricte discipline, Eiji Suzue vise à l'essentiel sans démontrer, en substituant le principe à l'acte et en sollicitant la participation du spectateur.

<Figure transparente, nous dit-il, pêchée ou apparue dans un processus d'anéantissement... Forme en mouvement qui contient à la fois l'apparition et la disparition... >. C'est donc cette vision fugitive de l'objet dans sa condition éphémère, traversé par des ondes interactives à l'intérieur d'une cage, posé en équilibre bancal sur un mur ou ligaturé en bouquet à même le sol, parfois encore accompagné d'une caisse rectangulaire close ou d'un voile en chlorure de vinyle transparent, que Suzue nous invite à décrypter avec lui.

Ni manifeste écologique, ni constat, car il y a derrière ces installations souvent corrodées par le temps une émotion retenue, l'œuvre de Eiji Suzue nous interpelle à plusieurs niveaux : celui de notre conscience et celui de notre sens.

 

Gerard Xuriguera

"DEMEURES&CHATEAUX"No 104 FEVRIER 1998

 

 

... a natureza sempre fornece ao artista o trampolim para as suas experiências e, já que se trata de um japonês que mantém uma relação espiritual e visceral com ela, também a posteriori. É o caso de Eiji Suzue que, a partir de fragmentos de madeira, e também de caixas transparentes em resina acrílica, de gazes plumas, ferro e pequenos cilindros, concebe suas montagens, ou melhor, suas instalações, onde elementos meticulosamente repartidos estabelecem um diálogo gerado por uma idéia subliminar e filosófica, consubstanciada sobre o aleatório e o transitório.

 

Nem manifesto ecológico, nem declaração, já que há por trás dessas instalações, corroídas pelo tempo uma emoção contida, a obra de Eiji Suzue nos questiona em diversos níveis da nossa consciência e dos nossos sentidos.

 

Gerard Xuriguera

Fragmentos do artigo publicado na revista "Demeures&Chateau" No 104, fevereiro de 1998<

 

 

 

 

Eiji Suzue a déjà exposé à plusieurs reprises à la galerie ce qui n'empêche en rien qu'avant chaque exposition il me faut traverser à nouveau le débat intérieur de la décision à emporter.

En présence de ses œuvres un étrange phénomène se passe qui semble nous diviser en nous-même, avec à la fois une mélange d'attirance et de résistance pour ce qu'il fait. Cela peut pour certaines pièces prendre un aspect presque physique. Il y a face à son travail un complexe agité de sensations qui se produit, mais qui indubitablement part de l'œuvre que nous avons devant les yeux pour y aboutir, quelles que soient les pensées qui nous tournent dans la tête. C'est comme une question qui resterait en suspens, mais dont le travail serait l'expression vivante.

 

Plusieurs fois je me suis fait la réflexion que son travail a une "odeur". Très curieusement une odeur que l'on peut retrouver dans certains textes qui traitent de religion (comme les écrits d'Étienne Gilson), ou bien de science (comme dans la linguistique de Gustave Guillaume). Mais aussi dans tout ce qui réunit à l'intérieur de soi un réel archaïsme (comme l'art haida de Bill Reid par exemple). C'est à dire une odeur qui provient pourrait-on dire de racines lointaines émergeant vers la lumière.

 

Depuis des années, Eiji Suzue poursuit son travail, terriblement solitaire, mais tellement unitairement que l'on a l'impression qu'il fait toujours la même chose sous des formes nouvelles... Je ne ressens aucune gêne à passer de sa sculpture d'objet transparents à sa peinture tracée d'espaces vides, et à sa poésie de mots écarquillés. Il y a dans chaque une non-œuvre qui appartient à toutes les trois. Cette non-œuvre se continue, fidèle à elle-même et pourtant prenant à chaque fois une existence neuve. Au fur et à mesure de nos visites, c'est un chemin qui se dessine et "qui ne mène nulle part."

 

Parmi les prédécesseurs japonais d'Eiji Suzue qui se sont installés à Paris, on compte le grand penseur Arimasa Mori. Si leurs œuvres respectives répondent à des domaines et périodes différentes, on retrouve me semble-t-il chez les deux une même tension intérieure héritée du point de rencontre qui se fait dans leur travail entre deux formes de pensées vécues. Et qui s'accompagne dans les deux cas d'une même qualité d'expression qui nous ouvre la voie à une plus profonde intelligence de l'art japonais.

 

Communiqué de presse 

Arnaud Lefebvre Février 2004

 

 

 

 

 

Kunitomo Emori a écrit le texte présenté ici pour le recueil de poèmes d’Eiji Suzue : La Fleur de la Terre (1997). Ce texte de Kunitomo Emori est précieux car il nous dit avec une grande clarté d’où vient la poésie d’Eiji Suzue, et le chemin qu’empruntent ses mots pour parvenir jusqu’au lecteur. Kunitomo Emori nous en parle en tant que poète lui-même : une notice biographique d’un recueil récent nous dit qu’il « est né près de Tokyo en 1933, a été un chef de file de la première génération des poètes d’après-guerre. Sa poésie expérimentale quoique infailliblement lyrique est parue en plusieurs volumes publiés. »

 

C’est une expérience qui apprend beaucoup de participer à la correction d’un poème en français par Eiji Suzue. On résiste, on se défend, on semble ne plus y reconnaître sa propre langue... Elle est insufflée d’un esprit qui lui donne une physionomie que je ne lui connais pas.... Mais cependant quelque chose dans la langue lui permet de fonctionner, et progressivement, mot après mot, le poème retombe sur ses pieds. On expérimente dans l’art d’Eiji Suzue une sorte de résultante, qui serait comme une réalité en suspens provenant de la réaction de deux mouvements différents qui s’équilibreraient au fur et à mesure de leur avancée. La question que pose Kunitomo Emori dans son texte : « Qui touche la manche ?» semble inclure dans un même élan le poème et son lecteur, chacun jouant son rôle de partenaire. Les mots en français d’Eiji Suzue sont plus qu’une traduction, ils sont une langue qui agit sur une autre et qui nous entraîne dans son courant.

 

Communiqué de presse  Fragment de "Une Journée dans la vie d’un galeriste"

Arnaud Lefebvre Juin 2007